Un jour je n’aurai plus la force
Des oripeaux d’humanité qui habillaient ma parole muette mais bienveillante,
Et l’étendard de l’espérance sombrera corps et bien
Avec le frêle esquif de mon regard qui lui servait de tremplin.
Un jour mes yeux las ne verront plus la planète
Comme si elle avait été faite pour nous,
À la mesure de notre démesure
Et j’abdiquerai alors de mon rôle de maître-nageur
Des râles rebelles quand l’avalanche ensevelira
Les aurores saltimbanques souriantes.
Je n’ai plus la force de porter à bras le cœur
Un autre que moi-même, une ombre fraternelle
Croisée au carrefour des amitiés accessibles.
Le courage me manquera de tricoter
Des passerelles de ronces
Au-dessus des précipices de l’indifférence
Pour franchir la distance qui sépare l’homme
De son pire ennemi : l’absence de remords.
J’arrêterai de déchiqueter les rideaux
Qui obstruent la lumière et le feu
Car je sais trouver derrière eux un miroir sournois
Trop bavard pour réfléchir un paysage facial acceptable ;
Je laisserai la peste désosser la liberté
Qui empêchait les squelettes de régner sur nos décisions.
La mienne est prise : je ne veux pas être le dernier survivant
Opposant d’une culture-suppositoire
Qui distille les faux-semblants en intraveineuse
Contre l’inévitable avachissement des combats
Face à l’aveuglement enfantin de notre optimisme
Rapiécé de quelques rustines de poésie.
J’applaudirai même le suicide des lucioles
Qui brillaient de toute leur absence
Avant que ne se brise l’interrupteur de la beauté,
Avant qu’on engrillage l’horizon comme un papillon dissident.
Je me suis assez désaltéré du sang des tricheurs
Et mon vœu de papier
N’incendiera pas la trajectoire du bois
Dont sont faits les cercueils de nos aspirations,
Trop léger pour contrecarrer les vomissures de peste brune
Sur les colonnes de nos palais sacrés.
Je garderai ma voix prisonnière de mes paumes,
J’étoufferai son chant dont peu d’oreilles porteront le deuil.
Je me tatouerai le portrait de nos héros légendaires
Dans le blanc des yeux,
Blanc comme mes nuits, comme le murmure inaudible
De nos consciences dans les urnes.
Un jour je n’aurai plus la force
De faire de mes paupières rafistolées de foi candide
Une barricade contre les crépuscules sectaires.
Il faudra rebâtir un ailleurs sans le concours de mes muscles
Tandis que mes phalanges de scribe amputé se reposeront au tombeau.
Vous vous souviendrez peut-être de mes prémonitions,
Quand il vous faudra choisir entre soumission et collaboration
Avec les fossoyeurs de dignité,
Vous rappelant des jours anciens quand je vous criais :
Rébellion ! Révolution ! Insoumission !
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